Berlin, ville d'imaginaires et d'espoirs, capitale d'une vie poétique et littéraire inscrite dans une tradition séculaire, lieu des avant-gardes artistiques du XXe siècle, des échanges et croisements intellectuels, refuge pour les déposédés d'une patrie, lieu de la séparation et de la rencontre, coupée en deux par un mur et cependant toujours investie d'une force d'attraction décuplée dans l'unité retrouvée : Berlin est le lieu commun à toutes les voix présentes dans ce numéro de Litterall, le terreau qui les a nourries. Choisissant la prose ou la poésie narrative, ces voix s'expriment par de grands mythes qui convoquent la langue comme leur mode d'expression privilégié. Elle vit et se nourrit de la présence de ces myhtes, s'emploie à les déconstruire pour se les réapproprier dans le présent qui est le nôtre à travers l'écriture et la lecture, à renverser les barrières dressées au cours des siècles par les sociétés. La langue, ce terme générique englobe les langues et leur intense communication à travers toute entreprise de traduction.
Il en va ainsi du premier texte de ce numéro de Litterall, par lequel Helene Hegemann, sous la forme d'un récit en prose nourri de thématiques classiques, la fin de vie comme issue de plus en plus présente dans une évolution chronologique, mais aussi comme événement brutal et imprévu, les deux moments témoignant de la fragilité de la vie, la complexité d'une relation père-fille, l'être et le paraître à travers le personnage d'un champion de surf.
Se nourissant elle aussi des mythes fondateurs, Anna Hetzer, dans une démarche soutenie par les illustrations qui accompagnent son recueil et dont deux reproductions sont proposées ici, porte par ses poèmes une voix à la fois poétique et politique, la langue est investie d'un rôle social et militant au-delà d'une simple visée esthétique.
Cette démarche était déjà celle de Franz Fühmann auquel Litterall rend hommage pour le centième anniversaire de sa naissance, par la voix d'Ingo Schulze et à travers la poésie incantatoire du récit intitulé Moïra, retrouvant l'un des grands mythes de la destinée humaine, les Parques, figures mystérieuses et angoissantes dont la mission est de tisser peut-être... la langue, seul matérieu qui résiste et garde sa pureté de diamnt face aux montagnes d'immondices produites par la vie des sociétés humaines décrites par Philipp Böhm dans Les Montagnes sous la ville.
Enfin, tant Christian Filips que Daniel Falb évoquent par leurs poèmes un monde bouleversé, fait de crises et d'interrogations, d'expérimentations dont la langue est le matériau. Et dont elle ne sort pas indemne. Les réflexions de Christian Filips sur la rime intérieure constituent une sorte de contre-chant à sespoèmes, elles permettent d'entrevoir, dans l'atelier du poète, le lien entre réflexion et écriture poétique. Les problèmes de traduction évoqués dans cet essai accompagnent et illustrent le dialogue entre l'allemand et le français dont Litterall se fait le messager.
Proches de nous ou plus éloignées, toutes ces voix expriment à la fois la difficulté de l'être et la force du lien qui les unit à la vie.
Françoise Toraille
Sommaire
Helene Hegemann Snoopy, la mer et moi
traduction par Catherine Teissier
Anne Hetzer La Playbox de Pandore
traduction par Jonas Fortier et Jeffrey Trehudic
Ingo Schulze « Je voudrais vous donner espoir »
traduction par Françoise Toraille
Philipp Böhm Les Montagnes sous la ville
traduction par Pauline Fois
Christian Filips Cinq crises instantanées
suivi de Rime intérieure
traduction par Bernard Banoun
Daniel Falb Le cube taillé
traduction par Jeffrey Trehudic
COnSEIL ÉDITORIAL
Bernard Banoun
Sandra Schmidt
Catherine Teissier
Françoise Toraille
Joachim Umlauf
Coordination éditoriale
Jeffrey Trehudic