Appartenir. C'est une question que posent les textes choisis et traduits dans ce numéro : Appartenir ?
À une langue commune : l'allemand ? À un espace commun : culturel, national, germanophone ? Car en leur sein, des langues et des espaces autres s'incorporent aux existences. On se tient là, quelque part, en faisant aussi partie d'un autre part. Au gré de ce qui est vécu, senti, perçu, au gré de ce pour quoi on est perçu.
Olivia Wenzel donne corps et voix aux méandres de l'angoisse : celle d'une protagoniste qui appartient à un pays aux frontières redessinées et se trouve aux prises avec les attitudes et discours haineux, violents qui viennent s'immiscer jusqu'en elle.
Une violence dont est aussi saturé le texte d'Anne Rabe. Elle la raconte, empoisonnant la vie familiale et scolaire d'une adolescente à laquelle il est devenu impossible de se défaire de systèmes infestés de relents monstrueux.
La narratrice du texte polymorphe de Slata Roschal, elle aussi, a grandi dans l'est de l'Allemagne, mais elle semble enracinée ailleurs. Russe, allemande, juive, femme, elle n'appartient ni à l'une ni l'autre de ces identités, elle se tient en équilibre dans une forme de non-existence.
Équilibre que le texte de Tomer Gardi fait vaciller, quand la langue se tord en une mauvaise grammaire, incarnée par un intrus qui cherche sa place au Musée juif de Berlin, troublant une culture allemande cassée – broken – par la mémoire.
Trouble dans la langue, celle-ci devient plurielle dans les poèmes de Mátyás Dunajcsik, qui transpirent la joie d'appartenir à leur vocation, celle d'être libres et de sauver le monde.
Un monde plongé dans l'ombre, à Kyiv, où Sebastian Unger observe le traducteur Mark Belorusets à tâche, éclairé à la seule lueur des poésies d'Ilse Aichinger – la traduction comme refuge d'un destin, lorsque tout semble disparaître.
Un monde disparu dans l'esprit des rêves poétiques d'Alexandru Bulucz, invoquant une Roumanie de souvenirs.
Les souvenirs, Karin Peschka les relève de l'oubli, auquel appartient l'histoire d'un Yougoslave, d'un curé et d'un cimetière dans une bourgade autrichienne.
Appartenir. Mais où, quand et à quoi quand on est maintenu à part, en marge, par le cours de l'Histoire ? On peut alors s'attacher à sa langue, son espace et choisir l'écriture, la littérature. Mais à qui appartiennent récit, mythe ou poème ?
Jeffrey Trehudic
pour le Conseil éditorial
Sommaire
Olivia Wenzel 1 000 méandres d'angoisse
traduction par Noémie Juglet
Anne Rabe La possibilité du bonheur
traduction par Sophie Picard
Slata Roschal 153 formes de non-être
traduction collective
sous la direction de Sylvie Grimm-Hamen
Tomer Gardi Sans sortir
traduction par Bernard Banoun
Mátyás Dunajcsik Poèmes perdus
traduction par Jeffrey Trehudic
Sebastian Unger Par-dessus les toits, vers le bas
traduction par Sven Keromnes
Alexandru Bulucz Simandre
traduction par Bernard Banoun
Karin Peschka Džomba
traduction par Françoise Toraille
COnSEIL ÉDITORIAL
Bernard Banoun
Sophie Picard
Sandra Schmidt
Catherine Teissier
Françoise Toraille
Joachim Umlauf
Responsable éditorial
Jeffrey Trehudic